Le 11 juillet 1892, à Montbrison, le couperet de la « bascule à Charlot »s’abattait sur le cou de François Claudius Koënigstein dit Ravachol. Pour nous Ravachol appartient doublement à l’Histoire : il fait partie de l’histoire nationale parce que les attentats qu’il a organisés à Paris en 1892 ont eu un sens politique et ouvrent la grande crise anarchiste des années 1892-1894 qui, par ses bombes, terrorise la bourgeoisie.
Il est intégré aussi à l’histoire locale puisqu’il est né à Saint-Chamond en 1859 et a été guillotiné à Montbrison en 1892, après avoir été́ condamné à mort par la cour d’assises de cette ville, reconnu coupable de crimes de droit commun commis dans le département de la Loire. Marie Ravachol, sa mère, exerce la profession de moulinière en soie. Elle vit alors en concubinage avec son père, Jean-Adam Koënigstein, dit « L’Allemand», originaire des Pays-Bas, arrivé dans le Forez un an plus tôt, en 1858. Il est employé comme lamineur aux forges d’Izieux. Son père abandonne bientôt le foyer conjugal pour retourner aux Pays-Bas où il décède de maladie l’année suivante.
Ne pouvant subvenir seule aux besoins de quatre enfants, Marie Ravachol doit mendier de l’aide et placer son fils dans une ferme. Dès ses huit ans, il travaille dur pour subvenir aux besoins de sa famille. Il est tour à tour berger, mineur, cordier, chaudronnier, avant de trouver à 16 ans une place à Saint-Chamond comme apprenti teinturier chez Richard et Puteau.

Puis il travaille dans diverses usines. Ouvrier sobre et discret, il fut pourtant renvoyé de la teinturerie Vindry en 1886. A l’origine de ses déboires, une fiole de vitriol qu’il aurait fournie à une jeune femme pour guérir un cor au pied et qui préféra « soigner »le visage de son amant. L’enquête de police ayant révélé les liens de Ravachol avec les milieux révolutionnaires, il fut renvoyé sans délai. Ravachol fait alors partie d’un cercle d’études sociales, écoute les conférences des orateurs du parti ouvrier et devient collectiviste. Il fréquente les cours du soir ; il lit « Le Prolétariat », le journal de Paul Brousse, « qui parlait de la Commune de 1871 » et du « nihilisme russe ».
La misère règne au foyer. Ravachol et son frère se rendent coupables de menus larcins : vols de volailles chez les paysans du voisinage, vol de sacs de charbon. C’est en 1891, qu’il va commettre l’irréparable.
C’est à Chambles, ensuite, que Ravachol commit le crime pour lequel il fut décapité à Montbrison. La victime se nomme Jean-Baptiste Brunel, dit Jacques, 96 ans, originaire de Soleymieux. Son destin aurait croisé celui de son assassin bien avant leur rencontre fatidique, quand deux bavards, qui attendaient le tram place Badouillère à Saint-Etienne, évoquèrent la « biche »bien remplie attribuée à l’ermite. Ravachol, tout près d’eux, prêta l’oreille.
Le 18 juin 1891, il descend du train en gare de Saint-Victor et c’est affublé de grosses lunettes et d’un chapeau de feutre qu’il gagne Chambles à pied puis Notre-Dame-de-Grâce. Il se dirige vers la petite maison de l’ermite et entre. Celui-ci qui sommeillait se dresse sur son séant. Ravachol lui assène un coup de poing qui le renverse sur son lit et l’étrangle, son genou appuyé contre la poitrine. L’assassin s’éloigne rapidement en direction de Saint-Victor, les poches emplies de pièces d’or et d’argent. Apprenant que le train aura du retard, il se ravise et revient vers Notre-Dame, dîne dans une auberge et passe la nuit dans le lieu même du crime.
Le lendemain au matin, il prend le train de Saint-Etienne, pour mieux revenir le soir même avec sa maîtresse et une valise. Il a cette fois les moyens de s’offrir la location d’un attelage avec un cocher, Jean Fraisse, un témoin gênant que Ravachol songea à supprimer dans les jours suivants. Il revint encore le surlendemain ! Il va sans dire que son manège n’était pas passé inaperçu. Ravachol est arrêté le 27 juin.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais Ravachol réussit à s’évader du fourgon de police ! Il parvient à gagner Paris. Dans la capitale, Ravachol, sous le nom de Léon Léger, se réfugie à Saint-Denis chez un couple, les Chaumartin, qui s’étaient fait une spécialité d’héberger les fugitifs anarchistes. A partir de ce moment, la dérive va devenir sans limite.
Nous avons laissé Ravachol chez les Chaumartin à Saint-Denis. Il se nomme désormais Léon Léger et mitonne dans ses « marmites »ce qu’il appelle « la mort aux rats pour bourgeois ». Il y a en effet des choses qui le révoltent, comme la répression destinée aux communards, qui dure depuis l’insurrection de la Commune de Paris de 1871, mais aussi deux évènements : l’affaire de Fourmies et l’affaire de Clichy.
Le 1er mai 1891, à Fourmies, une manifestation se déroule pour obtenir les journées de travail de huit heures. Des affrontements ont lieu, les agents de la Police tirent sur la foule, causant la mort de neuf personnes, dont des femmes et des enfants, parmi les manifestants. Et le même jour, à Clichy, dans un défilé où prennent part des anarchistes, des incidents graves éclatent, et trois anarchistes, Decamps, Dardare, et Léveillé, sont amenés au commissariat. Ils y sont interrogés, et violentés avec coups et blessures. Un procès s’ensuit, où ce sont eux trois qui sont accusés d’avoir tiré sur des policiers !
Deux des trois anarchistes sont condamnés à des peines de prison ferme. Cette affaire a beaucoup ébranlé les milieux libertaires. Pour venger les compagnons anarchistes condamnés, Ravachol songe d’abord, avec ses amis, à faire sauter le commissariat de Clichy et le 7 mars 1892, les voilà qui emportent une marmite chargée d’une cinquantaine de cartouches de dynamite et de débris de fer en guise de mitraille ; mais le projet avorte en raison des difficultés d’approche. Ils décident alors de s’attaquer, le 11 mars, au conseiller Benoît qui présida les assises lors de la condamnation de Decamps et Dardare. Ce juge Benoît habite au 136, boulevard Saint Germain à Paris.
Ravachol dépose la marmite au 2ème étage et allume la mèche. La projection de mitraille fit d’effrayants ravages, mais il n’y eut toutefois qu’un seul blessé. Le 13 mars, Ravachol et ses compagnons envisagent un nouvel attentat, cette fois contre l’avocat général Bulot. Ravachol et Charles Simon se chargent de préparer une nouvelle bombe, composée de 120 cartouches de dynamite. Le 15 mars, une bombe explose à la caserne Lobau. Si cet attentat organisé par Théodule Meunier n’est pas lié à Ravachol, la police est sur les dents.
Elle diffuse le signalement de Ravachol à la presse et insiste sur la cicatrice qu’il porte à la main gauche :
« Taille 1 m 66, envergure 1 m 78, maigre, cheveux et sourcils châtains foncés, barbe châtain foncé, teint jaunâtre, visage osseux, nez assez long, figure allongée, front bombé et assez large, aspect maladif. Signes particuliers : cicatrice ronde à la main gauche, au bas de l’index, près du pouce ; deux grains de beauté sur le corps : un sur la poitrine gauche, un sous l’épaule gauche ».

La police sur les dents finit par arrêter Chaumartin et Simon Charles, et d’autres complices de Ravachol, le 17 mars. Quant à Ravachol, il put déménager à temps et alla habiter Saint-Mandé. Il réplique alors le 27 mars en faisant sauter l’immeuble du substitut Bulot, le procureur qui avait requis la peine de mort au cours de ce même procès, demeurant au 39, rue de Clichy. Ravachol abandonne sur le palier une valise contenant un engin qu’il bourre de 120 cartouches de dynamite.
Une détonation effrayante retentit et l’immeuble fut ravagé jusqu’en ses fondements. Par miracle, il n’y eut que sept blessés et des dégâts considérables. La presse donne de larges échos de son signalement, le nom de Ravachol et sa photo sont désormais connus de tous. Après l’attentat, Ravachol prend l’omnibus Batignolles-Jardin des plantes pour constater les dégâts causés par la bombe. Mais le transport en commun est détourné de son trajet habituel et Ravachol ne peut rien voir. Vers 11 heures, il s’arrête au restaurant Véry, situé au 24 boulevard de Magenta, et fait la connaissance de Jules Lhérot, garçon de café et beau-frère du patron. Jules Lhérot émet quelques critiques à propos du service militaire et Ravachol en profite pour lui exposer les théories anarchistes et antimilitaristes.
Il lui parle également de l’explosion qui vient d’avoir lieu. Intrigué par un homme qu’il trouve suspect, Jules Lhérot laisse néanmoins partir Ravachol. Le 30 mars 1892, Ravachol retourne au restaurant Véry. Alarmé par les propos tenus quelques jours plus tôt et reconnaissant en lui l’auteur des attentats décrit par la presse, Jules Lhérot alerte la police.
Ravachol est interpellé avec difficultés par une dizaine d’agents de police. Ravachol est exécuté le 11 juillet 1892, à Montbrison, par le bourreau Louis Deibler. Il refuse l’assistance de l’aumônier et chante Le père Duchêsne en allant vers la guillotine. Ses dernières paroles sont « Vive la ré…» au moment où le couperet tombe. Le télégramme partiellement chiffré de l’annonce de l’exécution le traduit par « Vive la république !» Il semble plus juste de penser que ses dernières paroles furent « Vive la révolution ! » ou « Vive la révolution sociale !» comme le firent de nombreux anarchistes avant et après lui.
Pour en savoir plus : René Dumas, Ravachol, l’homme rouge de l’anarchie, Editions Le hénaff, 1981.